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2 février 2016 2 02 /02 /février /2016 10:17

Les contrôles au faciès, un obstacle à l’unité nationale contre le terrorisme

Daniel Welzer-Lang, dwl@univ-tlse2.fr, LISST-CERS Cnrs

Ce texte a été écrit avant la veille des attentats de Paris. A une époque où on entend le Premier Ministre dire que toute explication des sociologues vaut excuse, il est encore d’actualité.

Le constat des sociologues est sévère : en pratiquant les « contrôles au faciès », la Police et l’Etat qui ordonnent ou cautionnent ces contrôles, organisent un rejet de la Police par les jeunes hommes contrôlés et leurs entourages. Rejet de la Police qui, de fait, nuit à l’unité nationale contre les attaques terroristes dont nous sommes actuellement victimes.

C’est le constat mené par des sociologues de l’Université Toulouse Jean-Jaurès (Le Mirail) au même moment où se sont déroulés les attentats meurtriers organisés par DAESH à Paris.

Dans le cadre de l’exposition « Egalité Trahie, l'impact des contrôles au faciès » proposée par l’ « Open Society Justice Initiative » et l’association Tactikollectif[1], neuf étudiant-e-s et un Professeur en Master de sociologie de Toulouse[2] ont voulu comprendre les effets des « contrôles au faciès » sur la population des Izards, un quartier populaire de Toulouse. Pour ce faire, ils/elles ont questionné les personnes qui approchaient l’exposition les 12 et 13 novembre 2015.

Confirmant les résultats du travail de recherche dirigé par Fabien Jobard et René Lévy (CNRS-CESDIP) à Paris dans différents lieux[3], les entretiens réalisés à Toulouse montrent que ces contrôlent provoquent des réactions globales de rejets de la Police par les hommes contrôlés. Mais plus encore, les entretiens montrent l’effet systémique de ces contrôles sur les familles des jeunes de couleur contrôlés (noirs et maghrébins). Pères, mères, grands frères et grandes sœurs, voisins et amis (quelle que soit leur couleur et leurs origines) se sentent aussi collectivement agressé-e-s par ces contrôles et, de fait, rejettent la Police accusée de ne pas respecter les règles républicaines.

Les jeunes hommes contrôlés, et leurs proches, ont l’impression de ne pas être considérés comme des citoyen-ne-s comme les autres, de ne pas appartenir à la communauté nationale.

« Mon fils habitait avec un colocataire maghrébin et souvent quand ils sortaient en ville la B.A.C. (Brigade Anti Criminalité) contrôlait M. mais pas mon fils, ils contrôlaient le maghrébin mais ils ne contrôlaient pas le français, enfin le blanc. Ça le mettait dans une colère terrible, une injustice ».

Femme, 50 ans, blanche

En rejetant les jeunes de couleur contrôlés du côté du non-droit, en refusant les récépissés de contrôles qui pourraient ou non confirmer le bien fondé de leurs plaintes sur le systématisme de ces contrôles, l’Etat envoie un message paradoxal et contradictoire avec la mobilisation collective nécessaire contre le terrorisme. On en a vu les premières conséquences en janvier 2015 après les attentats contre Charlie Hebdo et le supermarché casher et les refus de certaines personnes des quartiers populaires de soutenir l’extraordinaire mobilisation que cela a provoqué.

Les entretiens montrent aussi comment ces contrôles au faciès sont des histoires d’hommes, ressentis comme tels par les garçons contrôlés.

En cautionnant les affrontements de virilité que représentent souvent les hommes en armes qui contrôlent des hommes de couleur désignés à l’avance comme potentiellement dangereux, l’Etat risque de favoriser des réactions virilistes dont les derniers attentats sont, d’après les témoignages, un exemple flagrant. Cet aspect de l’analyse est trop souvent négligé dans les commentaires sur les événements dramatiques que nous vivons aujourd’hui.

Au moment où, suite aux attentats récents de vendredi dernier, l’Etat décrète l’Etat d’Urgence et demande une unité nationale contre le terrorisme, il est temps, largement temps, que les contrôles d’identité ne provoquent pas de nouvelles divisions ou des affrontements entre personnes qui vivent en France.

Daniel Welzer-Lang,

Professeur de sociologie

Parmi les dernières publications : « Nous, les mecs », Paris, éditions Payot.

[1] [http://www.tactikollectif.org/item/247-exposition-l-egalit%C3%A9-trahie]

Voir en bas de texte la présentation de l’exposition.

[2] Il s’agit du master MISS (Médiation, Intervention sociale, Solidarité) de l’Université Toulouse Jean-Jaurès Le Mirail.

[3] Fabien Jobard, René Lévy à Beaubourg et al., Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris, 2009, New York, Open Society Institute.

D’après les chercheur-e-s :

« L’étude a confirmé que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être. Les résultats montrent que les personnes perçues comme « Noires » (d’origine subsaharienne ou antillaise) et les personnes perçues comme « Arabes » (originaires du Maghreb ou du Machrek) ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « Blanches ». Selon les sites d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés au regard de la part de ces deux groupes dans la population disponible à être contrôlée par la police (ou la douane). Les Arabes ont été généralement plus de sept fois plus susceptibles que les Blancs d’être.

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